La chapelle de Beuvreuil


Chapelle de Beuvreuil et château des Huguenots                                 Croquis de Pompon en 1900


 

L'origine du nom de Beuvreuil est Brevolium dont le mot Breuil signifie une haie, un bois. La chapelle est construite par les moines de Saint-Germer en l'an 1000 sur leurs parcelles de vignes.

La forme celtique Beuvre, Beuvron, Bièvre, Bieu, Bu désigne le mot rivière.

Cachée au confluent de l'Epte et de la Mésangueville la chapelle Saint-Pierre de Beuvreuil est l'une des plus anciennes du pays de Bray.

 

François Pompon la nomme Buvret dans ses carnets de croquis en 1900. Les habitants du pays le prononçaient Buvreuil ou Buvret au 19ème (comme l'indique l'abbé Jean - Eugène Decorde dans son " Essai historique et archéologique sur le canton de Gournay " en 1861).


Histoire de la chapelle

Beuvreuil est rattaché depuis 1822 à la commune de Dampierre-en-Bray , le maire de l’époque Maurice Moinet a accepté ce rattachement à l’exception de la Chapelle et à condition que les habitants de Beuvreuil gardent l'entretien de l'église à leur charge.  

 

Cette église est  le plus souvent considérée comme une chapelle en raison de sa petite taille, on la date du XIème siècle bien qu’elle contienne certains éléments antérieurs à l’an 1000, comme le mur côté Nord. Il s’agit de la plus vieille chapelle du Pays de Bray.  Pour certains elle remonterait au Xème siècle mais porte la signature de tous les styles architecturaux. Elle a été construite en l’an 1000 par les moines de Saint-Germer avec l’argile de Savigny, elle avait la particularité de prendre un aspect vernissé une fois sèche. 

 

Cette chapelle a été construite comme une halle, décors peints et porche en bois garni d’un galandage de briques émaillées de vert et de jaune. La maçonnerie réalisée en opus spitacum, feuille de fougère ou arête de poisson.  Cette technique a été utilisée pendant l’art roman jusqu’au XIIème siècle, elle sert à combler les espaces. Ce type de construction était facile à mettre en œuvre et peu couteuse.

La couverture  est composée de neuf sortes de tuiles de formes et de couleurs différentes. La charpente de la couverture (où les signatures des artisans sont visibles), et celle du clocher sont posées sur un ensemble de poutres en chêne.

Entre le Xème siècle et la Révolution plusieurs modifications témoignent de son édification : création d'un clocher (XIVème), construction d'autels latéraux, voûtes du choeur (XIVème), plafond de la nef, porche ou narthex ou caquetoire (Renaissance), agrandissement de la porte d'entrée pour les processions, fermeture de la porte des morts (elle servait à sortir le corps des défunts pour rejoindre le cimetière attenant, et était le passage des défunts après le rite funéraire de purification et la promesse du paradis), création des ouvertures dans les murs de la nef et 6 campagnes de décors peints (au XIIème faux joints, au XIIIème bande géométrique, au XVème scènes historiées, au XVIème litre funéraire, au XVIIème feston géométrique, au XVIII ou XIXème décor de l'enfeu et décor losangé).

A la Révolution, Saint Pierre eut la tête et la main coupées, le mausolée représentant un chevalier et son armure fut cassé et enterré sous le porche, la représentation de Saint Michel terrassant le dragon lacérée. 


Un monument classé

 

Le 5 mai 1920, le conseil municipal de Dampierre rapporte dans son registre de délibérations :                    " M. le Maire fait connaître que d'après une note reçue de M. le Sous-Préfet, le Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts a décidé de classer l'église de Beuvreuil monument historique et il invite le Conseil a donné son avis sur ce point, conformément aux dispositions de l'art.4 de la loi du 31 décembre 1913.

Le Conseil après examen décide que rien ne s'oppose à ce que l'église de Beuvreuil soit classée monument historique et il donne son avis favorable à ce classement  "

 

 

 

Par arrêté du 12 juin 1920, elle fut classée monument historique à l’initiative de Marguerite de Saint-Marceaux  et de François Pompon habitants de Cuy-Saint-Fiacre. A cette date, il pleuvait à l'intérieur, le mur Ouest est tombé sur le porche et la chapelle servait de bergerie. Est-ce au moment de la restauration comme le souligne Marguerite de Saint-Marceaux dans son journal ? 

 

Lors du classement aux monuments historiques, la DRAC a écrit à propos du maire de Dampierre " c’est un paysan plein de réalisme mais insensible à l’art et à l’histoire " ce qui a probablement touché l’élu puisque les travaux de restauration débutèrent à la suite et la chapelle fut sauvée.

 

Marguerite de Saint-Marceaux est déjà à l'œuvre en 1919 pour sauver la Chapelle et écrit dans son journal les propos suivants :

8 octobre 1919, elle dit "A Beuvreuil avec Aubépin et Marthe Paris. Les monuments historiques promettent de sauver la jolie chapelle. Tiendront-ils parole".

29 Août 1920, "Promenade à Beuvreuil dont la petite église classée grâce à moi monument historique menace de s’effondrer si on ne lui porte pas vite secours et réparation".

24 Mars 1921, "Jeudi saint. L’office ce matin. La promenade jusqu’à Beuvreuil dans la journée. La chère petite église tombe en ruine. Sous prétexte de la réparer on l’a éventrée. Joli vestige d’une belle époque qui va mourir par suite de l’incurie des conservateurs de nos monuments".

1er Septembre 1921, "On répare l’église de Beuvreuil, nous tâcherons de sauver ce bijou de la pioche imbécile des architectes".

 


Restauration de la chapelle

Entre 1920 et 1925, les premiers travaux de restauration furent entrepris. Plus tard, l’Abbé Denhez (1971-1982) fervent défenseur du patrimoine a convaincu la municipalité de continuer les travaux de rénovation, en particulier les peintures du plafond en 1983. En 2002, la toiture a été restaurée. En 2008, des travaux ont été effectués : la réfection des murs extérieurs, du porche, des boiseries et des peintures extérieures par ACMH Régis Martin, architecte du patrimoine.

Les décors peints anciens ont été restaurés par G. Gaultier, diplômé de l'Institut français de restauration des oeuvres d'art en 2003.

Ces importantes restaurations ont fait l'objet de lots :

  1. Maçonnerie pierre de taille
  2. Charpente
  3. Couverture
  4. Menuiserie ébènisterie
  5. Vitraux
  6. Décors peints
  7. Restauration d'objets d'arts

Le château des Huguenots

Juxtant la chapelle, le château " dit des Huguenots " date du 14ème siècle. Son nom vient du fait que son propriétaire Jean le Cat (commissaire des étapes pour gens de guerre à Gournay), seigneur de Beuvreuil y accueillait des calvinistes. Cette famille portait un blason de gueules à une croix ancrée d'or. Son origine remonte à Giroldus le Cat, écuyer qui vivait en 1118. On l'appelle  "château des Huguenots " car les Huguenots s'en seraient emparés lors des guerres de religion.

Le château est bien conservé et semble défendre encore la vallée avec les quatre tourelles à cul de lampe dont il est flanqué. Des croisées à meneaux existent auprès des fenêtres percées dans l'épaisse muraille. Les façades, comme les pignons sont soutenus par des contreforts gigantesques, dont chaque extrémité renferme deux cheminées circulaires.

Il a été classé monument historique par arrêté du 2 mai 1921.


A la croisée des chemins brayons

 

 

François Pompon et son ami René de Saint-Marceaux qui l'invite à Cuy-Saint-Fiacre, où Pompon achète une maison, aiment se promener dans la campagne et aller à la pêche. Dans cette campagne et ce village d'adoption, Pompon à la croisée des chemins découvre la chapelle de Beuvreuil (2,1 km à vol d'oiseau entre sa maison et la chapelle).

 

A Cuy-Saint-Fiacre, Pompon loin de l'agitation de Montparnasse, retrouve ses racines rurales du Morvan. Après un début de bustes, statuettes,  Pompon se tourne vers des animaux : animaux domestiques de la ferme dans son environnement cuysaintfiacrais, ou animaux exotiques du Jardin des Plantes de Paris, mais aucun édifice n'apparaît dans son oeuvre hormis le monument aux Morts de Cuy-Saint-Fiacre qui le sauve de la misère en 1921 (Saulieu sa ville natale lui ayant refusé ses projets de monuments).

 

Ces paysages brayons lui offrent un horizon, une évasion, une liberté d'exécution. La chapelle de Beuvreuil constitue donc une des seules oeuvres monumentales. Libre, il dessine l'architecture, la perspective du lieu, l'environnement.

Assis sur les sépultures des abbés, sortant son carnet de croquis, Pompon esquisse la grille d'entrée et le calvaire.

A-t-il connaissance de la collection de ferronnerie d'art commencée par la famille Le Secq des Tournelles, qui occupera plus tard (1920) une ancienne église de Rouen et accueillera un musée ou bien est-il inspiré par ces arabesques de fer forgé ?

 

La grille d'entrée existe toujours mais le calvaire a perdu les arabesques supérieures.


Une riche architecture intérieure à la clef

Le visiteur qui souhaite passer la porte de la chapelle est d'abord surpris de voir une clef, une vraie en métal, entourée de deux autres clefs, bien mise en évidence sur la porte d'entrée. Hautement symbolique, cette clef est là pour montrer au visiteur qu'il peut franchir le seuil et passer du profane au sacré, les poutres engoulantes aux dragons rejetant le mal (poutre coupée pour être adaptée à la porte romane au passage des processions). La clef offre un moyen d'accès à la connaissance de l'Evangile. Ici c'est Saint Pierre qui est l'initiateur, d'ailleurs la chapelle est sous son patronyme ainsi que Saint Paul. 

 

A l’intérieur, le baptistère en pierre du XIIIème siècle est de forme hexagonale ; le bénitier possède une cuvette du XVIIème ornée d’une vigne et de grappes de raisin avec les attributs de Saint Pierre et de Saint Paul : une clef et une épée sur un écusson. Les blochets sont la signature du charpentier ; il avait le souci du détail en représentant des astres dans la voûte céleste. Deux peintures murales, découvertes lors de la restauration, représentent Saint Christophe et Saint Michel terrassant le dragon.

Les statues de Saint Jean-Baptiste, Saint Pierre, Saint Paul datent du XVIème siècle. Au-dessus de l'autel, le tableau représente " La délivrance de Saint Pierre ". Dans le chœur à gauche, on découvre l’enfeu (espace où un tombeau est encastré dans l'épaisseur du mur d'un édifice religieux) dont les personnages ont été brisés pendant la Révolution, également le buste d’un guerrier, le casque, des gantelets récupérés dans un mausolée. 


Le caquetoire et la dame à la poule

En 1900, le galandage du caquetoire aux briques vernissées jaunes, vertes et noires brillent encore au soleil.

(Galandage , dérivé de garlander et donc de guirlandes, désigne une construction de briques vernissées).

Pompon le note dans ses carnets de croquis en utilisant le terme de " porche ".

Le caquetoire (ou narthex en terme d'architecture) est un espace couvert, situé devant l'entrée de nombreuses églises, notamment dans le centre de la France. A la chapelle de Beuvreuil, le caquetoire à 2 pans est de style Renaissance. Dans ses dessins datés de 1900 environ, à la mine de plomb et d'aquarelle, Pompon l'esquisse fidèlement notant la polychromie des briques. Le bronze du caquetoire est conservé au Musée d'Orsay, le plâtre au Musée Gunma du Japon.

" Je ne dessine pas ou bien rarement et mes dessins ne me servent guère qu'à noter des proportions " écrivit-il. Ce qui donne une valeur particulière au dessin. Ce respect des proportions lui permet de rester aussi fidèle que possible à la réalité, mais ici il miniaturise la modélisation.

 

 

Le caquetoire a la taille d'une maison de poupée (H 15, l 13, P 12 cm) dans laquelle il place la dame à la poule.

Pourtant, ce n'est que 5 ans plus tard qu'il réalisera la " mère Cachereux " ou " Paysanne normande à la poule ". Il semble que ce soit le même modèle, Civilise (ou Civilize)  Cachereux, née en 1848 et habitant Dampierre-en- Bray. 

 

Le caquetoire tire son nom du verbe caqueter (bavarder à tort et à travers), car les paroissiens pouvaient s'y abriter après les offices pour échanger des nouvelles. Cette mise en situation incongrue reflète l'humour qui l'une des composantes de l'oeuvre de François Pompon. Le jeu de mots sur le caquetoire et la poule qui caquette dans son panier fait sourire.

Son regard animalier se porte sur les dragons qui encadrent l'entrée. L'extrémité des poutres sculptées de têtes de dragons engoulantes sont sensées représenter le mal et libérer l'entrée.

La voûte surplombant l'entrée devait sans doute être surmontée d'une statue.



Le Japon sur les pas de François Pompon

Le 30 juin 2018, Madame Kazumi Matsushita, conservatrice au musée de Gunma dans les environs de Tokyo, vînt à Cuy-Saint-Fiacre ; son musée projetant une grande exposition itinérante sur François Pompon. Après avoir flâné à Eragny-sur-Epte sur les traces de Camille Pissaro et visité la maison de Claude Monet à Giverny, elle souhaitait connaître les sources d'inspiration de Pompon dans son village d'adoption de Cuy-Saint-Fiacre.

Elle suivit les pas de deux artistes : René de Saint-Marceaux et Pompon, et fut enthousiasmée par la découverte du village, le monument aux morts et la maison de Pompon, l'église, la mairie, l'atelier de Saint-Marceaux et s'imprégna de la culture de la 3ème République qu'incarne le centre bourg.

Son cheminement l'amena à travers les champs du pays de Bray jusqu'à la chapelle de Beuvreuil dont le musée Gunma possède les modèles en plâtre ci-dessous.

Passer du modèle réduit du caquetoire à la réalité du lieu l'émerveilla en découvrant la chapelle restaurée au fond de la vallée.

François Pompon : un artiste à la renommée internationale qui permit au Japon de venir jusqu'à nous.


M. T. et S. D. janvier 2021

Pour une visite de la chapelle, s'adresser à la mairie de Dampierre-en-Bray