Pompon et son pigeon



 C’est dans un esprit de reconnaissance à Madame Léone Pia-Lachapelle, -1921-2011- que j’ai demandé à Madame Lucette Turbet, qui l’a davantage connue, d’évoquer la personnalité et la mémoire de la fondatrice de l’association François Pompon de Saulieu.

 

 Au début de mon mandat, Madame Pia-Lachapelle me contacta et grâce à ses courriers elle me donna envie de connaître Pompon. La découverte de Saulieu, du musée, des œuvres de Pompon et surtout d’écouter Madame Pia évoquer la mémoire de ce sculpteur me firent prendre conscience de la richesse et la valeur de cet artiste. Madame Pia parlait de Pompon comme d’un " ami d’enfance ". Elle connaissait sa vie, ses œuvres, la façon dont Pompon voyait "ses" animaux, avec quelle terre il les "façonnait". Madame Pia vivait de Pompon. Elle travaillait énergiquement depuis 1997, pour la défense de son œuvre très malmenée de contrefaçons.

 

Je m’aperçus de la "chance " que nous avions à Cuy-Saint-Fiacre- petit village de Normandie de posséder, sa maison, son œuvre unique : "notre monument aux morts". Je découvris aussi que Pompon vécut plus de trente ans dans notre village aux côtés d’un autre grand sculpteur René de Saint-Marceaux.          

Merci Madame Pia-Lachapelle.

 

Madame Pia était une artiste de grand talent, elle sculptait de magnifiques "statuettes".

Elle avait sculpté Pompon et son pigeon… que deviendra cette œuvre ?  se demandait-elle, et elle me proposa de "rapporter" Pompon et son pigeon à Cuy-Saint-Fiacre  … Pourquoi pas ! Le transfert se fit et madame Pia me promis de venir l’inaugurer. Cela se concrétisa le 14 septembre 2003 en présence de Madame Lucette Turbet et son époux, Madame Liliane Colas, Madame Baugnies de Saint-Marceaux, de nombreux amis de Cuy-Saint-Fiacre et de Saulieu…. mémorable journée…

Quelle joie pour elle lorsqu’elle découvrit notre village, le monument aux morts et la maison du sculpteur !

Beau cadeau à nos concitoyens et hommage à madame Pia.

 

Depuis cette œuvre remarquable se retrouve dans notre salle de conseil sous l’ancien coq du clocher, girouette authentique de "notre" sculpteur malheureusement perforée par les chasseurs indélicats de l’ancien temps ! Ce portrait de Pompon est une terre cuite de Vallauris, il est représenté avec ses sourcils de tailleur de pierre, ses mains de dessinateur en caressant son pigeon Nicolas…

A son décès en 2011, la commune de Cuy-Saint-Fiacre reconnaissante, déposa une plaque sur sa sépulture dans le cimetière de Saulieu où elle repose auprès de son époux à quelques pas de "son ami" Pompon.

Merci Madame Turbet, de poursuivre cet hommage...

C.R. septembre 2020

 


Pompon et Nicolas

Si l'animal symbolisant François Pompon reste l'ours blanc (1922), le pigeon Nicolas que nous offrait Madame Pia-Lachapelle en 2003, fut, plus qu'un animal domestique, un animal de compagnie et son animal favori. Pompon trouve les modèles de son répertoire d'animaux domestiques dans les basses-cours de la ferme d'à côté à Cuy-Saint-Fiacre. Pompon porte un regard bienveillant sur la nature environnante, qui présente pour lui une grande source d'inspiration.

Nicolas était de tous les voyages entre Cuy-Saint-Fiacre et la rue Campagne Première à Paris où René                Demeurisse rapporte : " Les marteaux et les gouges s'amoncellent à droite, dans la niche au bas de laquelle s'abritait derrière un treillage le pigeon Nicolas... "

 

Le pigeon Nicolas inaugure une série en 1926. Dans le bestiaire de Pompon, les columbidés (pigeons, tourterelles ... ) se rangent au deuxième rang des animaux les plus représentés après les gallinacées (poules, coqs, faisans... ). Les pigeons et tourterelles dont le jabot gonflé par le roucoulement témoignent de la prédilection de Pompon pour les formes closes et les animaux blottis. Cette rondeur et douceur dans la représentation animalière illustrent la relation particulière de Pompon avec la nature.

Pigeon voyageur, 1926
Pigeon voyageur, 1926
Pigeon boulant, 1927
Pigeon boulant, 1927
Nicolas, 1926-1927
Nicolas, 1926-1927
Petit pigeon, 1926-1927
Petit pigeon, 1926-1927

Pigeon romain, 1927-1931
Pigeon romain, 1927-1931
Pigeonne au nid coupé, 1928-1931
Pigeonne au nid coupé, 1928-1931
Pigeonne au nid cylindrique, 1928
Pigeonne au nid cylindrique, 1928
Tourterelle, 1919
Tourterelle, 1919

Chez le pigeon, Pompon trouve les principales caractéristiques qu'il met en valeur dans son univers de sculpture animalière. D'une part, le squelette du pigeon offre une particularité commune à tous les oiseaux : la majorité des os sont pneumatiques, sans moelle. D'autre part, le pigeon possède une glande située à la base de la queue qui lui permet de lisser ses plumes pour les protéger de la pluie en les enduisant d'un liquide graisseux. Et surtout, les gestes de caresses de Pompon envers Nicolas montrent bien l'importance de l'effet du lisse, que lui procure au toucher l'anatomie aérodynamique du pigeon.

Il affectionne les surfaces polies et simplifiées de l'animal et travaille aussi les formes " en boules" repliées sur elles-mêmes, comme les pigeonnes au nid qui s'inscrivent dans une version cylindrique évoluant vers une géométrisation avant-gardiste.

 

S.D. septembre 2020


Hommage à Léone Pia-Lachapelle par Lucette Turbet


 

Léone Pia-Lachapelle

fondatrice de l’association François Pompon

Le nom de Madame Pia-Lachapelle est connu dans le monde de l’art aussi bien en France qu’au Japon et aux Etats-Unis et bien sûr, à Saulieu. Elle a, la première, pris la défense de François Pompon (1855-1933), sculpteur sélédocien. Praticien pour d’autres artistes dont René de Saint-Marceaux et Auguste Rodin, il acquit la notoriété tardivement, à 67 ans, avec son majestueux « Ours polaire » ou  « Ours blanc » en 1922. Très impliquée dans la vie de sa commune et de sa région, Madame Pia (1921-2011) appliqua son énergie au « cas Pompon » dont elle a découvert la spoliation des oeuvres. Elle s’est penchée sur la vie de ce sculpteur et l’a éclairée d’un jour nouveau dans FRANCOIS POMPON, Sculpteur Bourguignon. Sa vie, son oeuvre / Les Cahiers du Vieux Dijon N°15/16 1988 Broché – 1 janvier 1988. Puis elle est passée à l’action sur le terrain avec la fondation en 1997 de l’association François Pompon.

 

Regard sur ...

 

J’ai rencontré cette femme modeste et volontaire, que j’estime exceptionnelle, au cours de mes recherches sur René de Saint-Marceaux. On ne peut évoquer Saint-Marceaux sans obligatoirement parler de Pompon. Et je vais m’efforcer de présenter l’active combattante qui défendit « son » sculpteur durant des dizaines d’années ; je parlerai aussi de la personne que j’ai découverte en la côtoyant ou l’épaulant. Je revendique mon regard comme totalement partial mais contenant un soupçon de la réalité de la personnalité complexe qu’était Léone Pia-Lachapelle.

 

 

Tentative de portrait

 

Madame Pia était une personne dotée d’un caractère affirmé. Elle avait été une grande et belle femme séduisante d’après celles et ceux qui l’avaient connue dans sa jeunesse. Elle en parlait aussi avec simplicité en montrant des photos un peu anciennes qui prouvaient ses dires. Et malgré l’âge respectable de 80 ans passés, il lui restait des traits agréables et soignés et un regard droit et pétillant avant que la maladie ne la frappe.

 

Madame Pia ne pouvait se concevoir sans Monsieur Pia et inversement. Et s’il fallait apporter une preuve tangible de cette étroite relation d’amour et de fidélité, il suffirait de se rendre sur leur tombe au cimetière de Saulieu. Date de leurs décès à tous deux : 2011. Mme Pia disparue la première en janvier de cette année-là a laissé Mr Pia désemparé et frappé au coeur, il ne lui a survécu que quelques mois.

 

Madame Pia chez elle

 

 

Leur grande maison ancienne et chaleureuse nous accueillait avec un haut portail de bois, une cour pavée, la porte étroite encadrée de pierres patinées en haut des deux marches. Inutile de frapper, le battant était ouvert. Il fallait appeler en soulevant la tenture « Madame Pia, nous sommes là ». Elle arrivait rapidement de sa cuisine ou du salon et moins vite de son atelier ou des escaliers. Son sourire aux lèvres et dans ses yeux nous souhaitait la bienvenue puis elle s’exclamait et nous dirigeait au travers du petit couloir. Si elle était occupée, c’était monsieur Pia qui accourait. Il avait entendu grâce à l’appareil auditif reposant sur sa poitrine et qu’il maintenait d’une main pour éviter les chocs et des sons entrecoupés. Leur complicité nous guidait vers le grand salon, sa bibliothèque, sa cheminée, sa baie sur le jardin et ses grands arbres.

Ces murs ont entendu quantité de discussions, débats, disputes, échanges autour du patrimoine de Saulieu et de la région. Car si Mme Pia a consacré sa vie à sa famille - elle a secondé son époux dentiste et élevé leurs deux enfants - elle a été une pionnière de ce que nous appelons aujourd’hui « le patrimoine ». A l’époque, ce mot ne voulait rien dire. Mme Pia a défendu, non le Patrimoine avec un grand P respectueux, mais les éléments de son environnement qui lui ont semblé dignes d’intérêt pour l’avenir. Car madame Pia, femme de conviction, s’est activée pour faire vivre cette région qu’elle aimait et y a découvert des richesses endormies ou à l’abandon.

 

 

Madame Pia se met à l’oeuvre

 

En 1970, elle réunit quelques sélédociens et sélédociennes autour d’elle pour créer le G.E.S.E.R. Bel acronyme du jaillissement de l’eau, source de vie, qui signifie « Groupement Economique de Saulieu Et de sa Région ». Son angle d’action vise au plus près du quotidien de ses concitoyens : ce n’est pas par des discours qu’elle veut toucher la population, c’est par l’action concrète. La modestie de ce moyen n’a d’égal que celle avec laquelle elle entreprend cette immense tâche de faire évoluer les mentalités et d’apporter du bien-être à certaines catégories sociales.

Le GESER commence à fédérer les hôtels, ressort économique traditionnel dans cette région de passage obligé entre Paris et la côte méditerranéenne. Ils forment une chaîne solidaire qui pèse soudain un poids considérable et voit affluer la clientèle.

Le GESER lance des opérations publicitaires pour valoriser les produits locaux. Là aussi, les mots que j’emploie sont des anachronismes. L’exemple le plus parlant est « Le panier de Toine ». Ces « paniers » réalisés par les agriculteurs pour un prix unique et abordable nous rappellent nos AMAP actuelles (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne).

Madame Pia est une visionnaire engagée.

Engagée aussi sur le plan de la pollution dans les sites naturels du Morvan, dans l’aménagement rural, le désenclavement des villages par des circuits d’autobus, l’animation de la vie sociale des campagnes, les relations avec les autres associations.

 

 

Tout a une fin

 

L’énumération ci-dessus à porter au crédit du GESER doit être complétée par l’action auprès de la municipalité de Saulieu pour obtenir un centre d’aide aux personnes âgées, une véritable salle des fêtes, la réouverture de la bibliothèque. Et auprès de la région, la collecte du matériel agricole obsolète pour créer un musée, le sauvetage de la chapelle abandonnée de Beurey-Beauguay. Etc ...

 

Cette fédération de bonnes volontés, ce bouillonnement d’énergies, ce jaillissement d’activités porte bien son nom : GESER. Bien sûr, Léone Pia-Lachapelle n’a pas mené seule tous ces changements mais elle en a été « la cheville ouvrière » et ces mots lui conviennent parfaitement pour désigner son rôle d’initiatrice et de pivot : effacé et in-dis-pen-sable.

Combien de temps a duré le GESER pour réaliser autant d’actions positives ?

-Neuf ans, de 1970 à 1979, et il s’interrompt avec le départ de Madame Pia qui estime qu’elle peut prendre maintenant une autre direction.

 

 

Le GESER et François Pompon

 

Je me suis attardée sur l’exemple du GESER pour approcher le parcours qui amène Léone Pia à François Pompon. Durant toutes ces années de travail avec les diverses instances locales, régionales, ses relations se sont multipliées, elle touche à tous les secteurs de la vie agricole, politique, sociale, culturelle ; elle analyse, réfléchit, confronte ses idées ; elle écrit beaucoup sur des sujets variés découverts au cours de ses visites ou de ses conversations. Pour rédiger, elle se munit d’une documentation importante visant à l’exhaustivité. Elle rassemble quantité d’articles, journaux, revues, thèses, photocopies de livres peu connus. Exigeante, d’une probité reconnue, elle s’est imposée comme femme de culture dans les milieux encore très masculins des groupements intellectuels, les « académies » de tous bords notamment.

 

 

Le temps de l’écriture

 

Son étude sur « Les établissements hospitaliers de Saulieu » touche aussi bien l’archéologie, la topographie ou l’histoire que l’architecture et le développement de l’urbanisme sélédocien.

Sa participation au concours de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon porte sur le thème peu abordé en 1971 de la pollution de l’environnement. Elle écrit des mots qui résonnent très fort encore en 2020 « Au cours de la prochaine décennie, l’Homme devra-t-il, voudra-t-il et pourra-t-il contrôler son environnement ? A la lumière du simple bon sens (fût il féminin) cet essai tente de faire le point. » Nous avons largement dépassé les années 70 et ces questions restent actuelles ! On note la parenthèse ironique qui fait écho à son égratignure du « machisme, fût il féminin » dans son introduction.

Elle rencontre des personnages historiques qu’elle développe et porte à la connaissance de ses concitoyens pour leur rendre leur place dans le passé de sa région : Claude Courtepée (1721-1781), abbé historien de la Bourgogne et du Morvan et Jean Vatout (1791-1848), écrivain et homme politique, défenseur des bibliothèques et des monuments historiques, notamment.

 

 

1988 : François Pompon fait l’actualité

 

Puis, François Pompon accapare le temps de Mme Pia : elle rédige l’ouvrage, épuisé aujourd’hui, qui fait toujours référence : « FRANCOIS POMPON, Sculpteur Bourguignon. Sa vie, son Oeuvre ». Ce texte tranche sur la production habituelle des monographies d’artistes : le style « romancé » n’est pas reconnu par les milieux artistiques officiels. Si Mme Pia imagine, recrée des dialogues, une ambiance, ils sont toujours basés sur des faits avérés et toutes les informations concernant Pompon ou ses oeuvres sont authentiques, véridiques, vérifiables. C’est un gros travail de mise en forme qui essaie de retrouver, de recréer l’époque qu’a vécue François, ses « sentiments » et son environnement. Léone Pia s’attache au personnage et expérimente ce qu’elle écrit : elle pratique la sculpture.

 

 

La sculptrice Léone Pia

 

Elle travaille la terre-séchage ou cuisson au four et le plâtre. Ses sources d’inspiration se retrouvent dans les documents qu’elle a accumulés : le Moyen-Âge avec ses costumes, la religion catholique, les instruments de musique, l’architecture. La basilique Saint-Andoche de Saulieu, proche de son domicile, est aussi présente ; l’édifice a également marqué l’imaginaire de François Pompon tout au long de sa vie. Les réalisations de Léone Pia sont exposées, commentées, appréciées, puis elles rejoignent son atelier. Quand la maladie orpheline que les médecins ne savent pas soigner frappe à sa porte, Léone se préoccupe de sa statue de Pompon accompagné de son pigeon Nicolas. Nos discussions l’ont convaincue que, si Pompon fut heureux quelque part, c’était à Cuy-Saint-Fiacre. Elle décide donc, après échanges avec le maire Mr Rouault, de faire don de son groupe à la commune d’adoption de Pompon. 

 

 

De Saulieu à Cuy-Saint-Fiacre

 

 

Le 14 septembre 2003 fut un jour mémorable. Le maire de Cuy et son équipe du comité des Fêtes nous ont concocté une journée inoubliable, alliant convivialité, intérêt artistique, partage, transmission et émotion. Mme Pia, déjà atteinte par la maladie, avait la tête un peu dans les nuages. Elle « planait » littéralement, profondément satisfaite d’installer « son » Pompon dans LE lieu où il se sentirait bien, où il serait soigné et respecté, reconnu et honoré. Accompagnées de Mr Rouault, nous avons inauguré toutes deux ce don généreux à la commune d’adoption de François Pompon. La donatrice repartit imprégnée de la maison dans laquelle l’artiste qu’elle défendait avait vécu des années fructueuses pour son art, heureuse de l’atmosphère de reconnaissance amicale des habitants de Cuy-Saint-Fiacre et intimement soulagée d’avoir trouvé le sanctuaire de sa statue. 

 

 

L’association F Pompon

 

Je n’ai pas du tout abordé l’énorme travail effectué par Mme Pia à la tête de l’association qu’elle a créée. Il est du domaine public. C’est pourquoi je laisse cet épisode en blanc à qui veut l’écrire. J’ai essayé de faire partager mes connaissances acquises avec l’exploration des archives laissées par la présidente de l’association François Pompon entre 1997 et 2007 mais aussi un peu avant, et aussi un peu après, puisque j’ai poursuivi mes contacts avec celle qui est devenue mon amie, après tout ce temps passé à travailler en parallèle sur ces deux artistes réunis par leur amour de la sculpture et l’estime et l’amitié réciproques qui en sont nées : René de Saint-Marceaux et François Pompon. J’ai tenté de dessiner le parcours qui a conduit la jeune femme, passionnée par la culture de sa région et par les gens qui la portaient sans le savoir, jusqu’à François Pompon. Je lui laisserai la parole pour terminer, avec le brin de gaieté et d’humour qui ne l’a pas quittée même au moment des souffrances physiques...

 

 

 

Merci, Madame Léone Pia-Lachapelle, pour tout ce que vous nous avez transmis !

L Turbet

Août 2020

pour le site des Amis de l’Ours

 

Photos LD Turbet protégées.