Les masques de René de Saint-Marceaux à Gournay-en-Bray


Pour donner suite aux interrogations posées dans la presse locale en avril 2019 par les les masques de René de Saint-Marceaux détenus par la mairie de Gournay-en-Bray...

Merci à Madame Turbet d'avoir configuré sa conférence du 23 octobre 2010 à Cuy-Saint-Fiacre de la forme orale en une présentation écrite.

La totalité des pièces sur cette photo est la propriété de la mairie de Gournay-en-Bray.

Elles nous furent aimablement prêtées par Monsieur Pain, le maire de l'époque pour être exposées dans la salle des fêtes de Cuy-Saint-Fiacre.

De gauche à droite :

  • "Un banquet dans la salle de conseil à Cuy-Saint-Fiacre" par Jacques Baugnies.
  • "Le roi de Théâtre", tableau de Roger Jourdain.
  • "Ablution d'un musulman" d'Eugène Baugnies.
  • "Fin de journée" de Jacques Baugnies.
  • "La série de masques en terre cuite" de René de Saint-Marceaux.

En bas à gauche, un tableau de Roger Rebours, peintre-maire de notre commune et une bouteille de champagne Saint-Marceaux.


Les masques de Gournay-en-Bray, Seine Maritime, proche de Cuy-Saint-Fiacre, résidence d’été de la famille Saint-Marceaux. 

 

Les « petits masques » de René de Saint-Marceaux ont une histoire particulière ; nous ne les avons sous les yeux aujourd’hui que grâce à la détermination de Marguerite, épouse du sculpteur René de Saint-Marceaux. Désolée de voir détruire le modèle des statues après moulage, elle obtient du fondeur qu’il épargne les visages de terre ou de plâtre. Elle recueille soigneusement ces « débris » destinés à la poubelle et constitue ainsi une « collection » qu’elle expose après le décès de son époux en 1915 et la fin de la Grande Guerre, en

1922.

 Ces masques ne sont pas les originaux. Ce sont des copies qui datent des années 1920, puisque Mme de

Saint-Marceaux a fait reproduire les petits visages sauvés de la destruction en 20 exemplaires chacun pour « répandre le nom de René ». Elle voulait les vendre pour couvrir les frais de l’exposition mais si le public a été ravi de découvrir ces oeuvres originales, il a peu acheté. Marguerite s’est donc retrouvée avec un grand nombre de masques et en a donnés, mais à sa mort en 1933, il en restait encore beaucoup. Georges Baugnies de Saint-Marceaux, fils aîné de Marguerite, a géré la succession et réparti les oeuvres restantes entre les collectivités, musées et municipalités, qui avaient un lien avec sa famille.

 Les neuf masques de Gournay ont été envoyés au maire accompagnés d'une lettre de Georges. Il y explique que certains modèles de ces visages sont des personnes de Gournay ou des environs, c’est la raison de ce don : il choisit les masques en fonction du rapport qui existe entre eux et la commune bénéficiaire.

 

La Béguine
La Béguine

Ainsi, LA BÉGUINE, 1892 dont le modèle est la fille du garde-barrière de Molagnies - cf : lettre de Georges Baugnies du 31 janvier 1931, transmise par Mme Cara Baugnies.

La Gazette des Beaux-Arts signale la présence de Béguine à l'exposition du Champ de Mars en 1892 avec Buste de Tirard et La Femme couchée.

En 1894, Saint-Marceaux fait reproduire La Béguine en porcelaine chez Ernest Chaplet (1835-1909), un céramiste installé à Choisy-le-Roi. En terre cuite, elle participe à l’exposition de Munich en 1893. En 1894, elle est présentée au salon du Champ de Mars, un des deux grands Salons artistiques de l’époque.

 

Jeune fille
Jeune fille

 JEUNE FILLE, 1913, masque de terre cuite dont le modèle est Melle Léger de Gournay cf Lettre de Georges Baugnies du 31 janvier 1931, communiquée par Mme

Baugnies. Cette tête a été reprise pour un buste de pierre La République à la même époque, 1913. Le buste de La République en marbre a été retrouvé dans une cave de la mairie de Gournay.

Restauré, il est visible par le public dans la salle des Conseils de la commune : une belle résurrection ! Et quelle chance d’avoir le masque et le buste et quel honneur de savoir qu’une jeune fille de Gournay a inspiré Saint-Marceaux pour réaliser le symbole de la république.

 

L'abandon ou la prière
L'abandon ou la prière

Pour L'ABANDON ou LA PRIÈRE, 1906, masque de terre cuite, nous avons peu de documentation à propos de ce masque si ce n’est la mention « buste de Melle Portier » . Puisque Georges a donné ce masque à la ville de Gournay comme il a attribué ceux de natives de la région, faut-il en déduire que Melle Portier habitait également un village proche de Cuy-Saint-Fiacre ?  

 Il est intéressant de voir comment l’artiste choisissait ses modèles : malgré son aristocratie, il n’hésitait pas à faire poser les jeunes filles de la campagne les plus modestes quand leur visage attirait son attention. 

Georges a offert à Gournay un des masques de Marguerite, sa mère qui adorait Cuy. Elle regrettait à chaque saison de repartir passer l’hiver à Paris.

 

Grand deuil
Grand deuil

GRAND DEUIL est le portrait de madame de Saint-Marceaux, 1903.

St-M a déjà sculpté son épouse une première fois. En 1894, le 27 mars (p81) elle écrit dans son Journal : " René reparti pour Paris (ils séjournaient sur la côte basque, à Saint-Jean-de-Luz) pour finir mon buste qui doit être exposé au Champ de Mars." (Salon SNBA ouvert le 25 avril)

Le 24 avril 1894 :  "René veut arriver à faire de la sculpture sans noir. Dans mon buste, son but est presque atteint."

1902, 17 octobre (p 283)  : "Mon buste avec les voiles de crêpe devient de plus en plus beau."

1902, 25 octobre (p 283) : "On moule mon buste et le petit monument funèbre. J'ai les deux masques intacts."

Voilà la preuve de la méthode de Marguerite pour constituer sa « collection » de « petits visages » : elle doit obtenir l’accord du mouleur et veiller au soin qu’il apporte pour effectuer le démoulage du « petit masque ».

1903, 20 janvier (p 292) : "Je pose pour mon buste chez René." Pourquoi sculpter madame de Saint-Marceaux en deuil ? Il n'y a pas de décès dans la famille (père de ST-M : Alexandre (1819-1906), mère de St-M : Emilie Morizet (1822-1901). Père de Meg : Frédéric Jourdain (1815-1894), mère de Meg : Marie-Georgette Callou (1826-1892)) mais René travaille à leur pierre tombale, celle qui est au cimetière de Cuy. Cette tombe était creusée depuis fin 1897 et le sculpteur a travaillé sur le modèle en plâtre de la dalle jusqu'en 1912. Le dessin plait à Meg qui écrit cf Journal 1902, 7 septembre (p 281) : "La pierre tombale devient superbe. René et moi marchons debout

main dans la main." Le fait de travailler à leur pierre tombale a sans doute influencé René, par "contamination" , il a anticipé son épouse en « grand deuil ».

 

La dame aux camélias
La dame aux camélias

LA DAME AUX CAMÉLIAS, masque de terre cuite, 1906.

La Dame aux Camélia est à la fois le plus célèbre roman d'Alexandre Dumas Fils et son personnage principal Marguerite Gautier. Elle a véritablement existé ; c’était une courtisane nommée Marie Duplessis qui fut la maîtresse de l’écrivain. Elle était surnommée "La Dame aux Camélias" car elle ne supportait pas le parfum des fleurs et elle n'aimait que les camélias qui n'ont pas 'odeur. 

La statue qui la représente en pied fait partie du monument dédié à Alexandre Dumas, élevé place Catroux à Paris par René de Saint-Marceaux suite à la souscription des amis de Dumas. Les personnages féminins des romans de Dumas s’enroulent autour du piédestal et montent vers l’écrivain assis, le regard cherchant l’inspiration. 

« Sauf la Dame aux Camélias que l'on reconnaîtra, je pense, à son attitude de complet renoncement autant

qu'aux boucles de sa coiffure et aux camélias tombés de sa main défaillante, aucune des autres femmes ne désigne particulièrement une des héroïnes de Dumas.

Deux jeunes filles se pressent vers le célèbre directeur de conscience. L'une chuchote son secret; l'autre,

messagère fleurie, murmure plus près, dans un sourire, l'espoir de ses quinze ans. Une mère, abandonnée avec son enfant, demande en pleurant aide et protection au défenseur des faibles.

Enfin, un dernier personnage féminin, de ses bras étendus, enveloppe ses sœurs dans un large geste de

compassion, les unissant reconnaissantes auprès de celui qui sut les aimer, les évoquer, les glorifier. » 

Le texte cité ci-dessus est véritablement le commentaire de René de Saint-Marceaux à propos de son monument puisque le journaliste lui « cède la plume » dit-il. Ce qui est précieux pour connaître les intentions qui ont guidé les choix artistiques du sculpteur.

 

L'Amérique
L'Amérique

Les masques de L'AMÉRIQUE et de l'ASIE appartiennent au monument de l'Union Postale Universelle à Berne. 

Dans le monument à Dumas, le mouvement des femmes qui s'envolent en spirale commence par un point d'appui au sol pour s'élever de façon continue en enveloppant le socle sur lequel 

L'Asie
L'Asie

repose la statue de l'écrivain. Dans le monument de l'Union Postale Universelle, les personnages féminins volent véritablement autour de la sphère terrestre. Saint-Marceaux a conçu ce gigantesque monument à la gloire de l’entente entre les peuples pour la circulation du courrier par-dessus les frontières pour le 25e anniversaire de l’UPU. Un concours international est lancé en 1902. Le jury reçoit 122 projets sur papier en 1903. Il sélectionne les 4 projets qui lui semblent les plus intéressants et attribuent à leurs auteurs, deux Allemands et deux Français,

une somme de 3000 F de l'époque pour présenter une maquette en volume de leurs projets papier. Saint-Marceaux remporte le concours et se met au travail.

Il loue un atelier, sorte de hangar, haut de plafond et vaste, à Neuilly. Le globe terrestre mesure 2,8 mètres de diamètre, les cinq figures font chacune 4 mètres de long ; la hauteur totale de l'ensemble atteint 9,6 mètres. René engage des praticiens. Un véritable chantier s'organise. La fabrication dure 5 ans. Les cinq messagères qui se passent le courrier de la main à la main autour de la terre représente les cinq continents. Elles ont le type racial reconnu à l’époque et Gournay en Bray a hérité des visages de l’Amérique et de l’Asie. L’Amérique présente des scarifications ou peintures comme en portaient les Indiens et l’Asie a bien entendu les yeux bridés. Le monument de l'UPU, devenu le symbole des postes du monde entier, est inauguré le 4 octobre 1909.

 

Ismaël
Ismaël

ISMAËL, masque de terre cuite, 1903, est le visage d’une « délicieuse petite figurine d'un enfant assis plié en deux » ( oeuvre non repérée, plâtre au MBA de Reims) cf Journal de Meg, 1899, 23 octobre (p 207). L’œuvre est réalisée en pierre mais aussi en faïence par le grand céramiste Lachenal.

Pourquoi ce personnage d'Ismaël choisi par Saint-Marceaux ? Selon le livre de la Genèse, Ismaël est le premier fils qu'Abraham eut avec Agar, la servante égyptienne de son épouse Sarah qui était stérile. Ce fils grandit dans le désert, devint archer. Il eut à son tour 12 fils et il mourut à 137 ans. Saint-Marceaux a certainement été frappé par le sort de ce fils désiré par une femme, Sarah, et porté par une autre, Agar. René de Saint-Marceaux lisait beaucoup, selon Marguerite, toutes sortes de récits.

 

Langueur
Langueur

LANGUEUR, 1886,

Cette tête est devenue buste en marbre au Salon de 1893. Le critique de La Gazette des Beaux-Arts écrit "ce buste est tiré de Della Robbia" c'est à dire influencé par la Renaissance italienne du XVe siècle. Ce masque fait partie de la série des « masques d’expression » qu’affectionnait René de Saint-Marceaux. Il

a travaillé à saisir les sentiments exprimés par les regards, les mimiques, la

forme des sourcils ou de la bouche. Il a tenté de rendre l’intériorité des êtres visible dans sa sculpture. Ses « petits masques » s’appellent Langueur, Douleur, Sourire, Abandon, Prière, Résignation, Tristesse etc...

La collection des neuf masques de Saint-Marceaux est un cadeau à conserver et honorer mais aussi à montrer au public pour les émotions que ces oeuvres suscitent en nous, toutes modestes qu’elles semblent. Et si elles ne sont pas des originaux, elles ont traversé plus d’un siècle et nous apportent le témoignage du talent d’un artiste qui a marqué la région de sa présence.  

 

Lucette Turbet

15 avril 2019

pour le site des Amis de l’Ours.