Biographie romancée


 

François Pompon à Cuy Saint-Fiacre

 

 

 

Un artiste dans un village .

 

Au café, deux habitants de Cuy Saint-Fiacre Ernest et René bavardent, on est fin du 19 ème-début du 20 ème siècle, écoutons cette conversation :

 RENE

« Qui est ce petit bonhomme barbu que j’ai vu courir après les poules et les canards avec une musette en bois ? »

« quiché queché qcheu ptiot bonhomme barbu que j’avions vu courir après les poules et les canards avec une musette en bois ? »


 

ERNEST

« C’est un nouveau petit commis du châtelain, il l’aide dans la fabrication de ses sculptures »

 

 RENE

« Vraiment là  cette heure les riches ne savent point quoi inventer, ils nous rattirent dans le village des drôles de gens , ça vient de Paris tout ça, c’est sûrement pas bien bon »

« Au fait, comment sais-tu ça ? »

«  Vraiment achteur les riches ne savent point quoi inventer, ils nous rattirent dans le village des drôles de gens, ça vient de Paris tout ça, c’est chûrement pas bien bon. Au fait comment ché tu cha ? »


 

ERNEST

« C'est Monsieur le maire Georges Baugnies, le fils de la Châtelaine, qui m l’a dit »

 

RENE

 « Je l’avais bien dit qui fallait pas voter pour lui »

«  je leu avié bien dit qui fallions pas voter pour li »


 

ERNEST

« En plus, ce bonhomme cause bizarre, on croirait un glou glou de bouteille, Monsieur Georges m’ a dit que c’était l’accent du Bourgogne. J’ai fait semblant de rire, car je crois que c’était une plaisanterie , mais j’ai pas bien compris »

« Et tu sais pas tout, en plus des sculptures chez le châtelain, Madame Baugnies, sa femme, tu sais la fille des Jourdain qui avaient acheté le château, la Marguerite et bien, elle fait de la musique dans le chalet qui

viennent de construire, avec tout un tas de gens qui viennent de Paris »

 

RENE

« Pouh... On était ben plus tranquille avant la ligne de Chemin de fer (Paris-Dieppe), pis, cette construction de mairie, d’école et qu' en plus c’ est devenue obligatoire, on peut plus garder les enfants à la ferme pour travailler et pis, maintenant qu’ils font le service militaire, ils ramènent au village des drôles d’idées, des idées point de chez nous, si ça continue, ils voudront choisir leur femme. »

« Pouh.. On était bien plus tranquille avant chteu ligne de Chemin de fer (Paris Dieppe), puis cette construction de mairie, d’école et, qu' en plus c’ est devenue obligatoire, on peut plus garder les enfants à la ferme pour travailler et pis, maintenant qu’ils font le service militaire, ils ramènent au village des drôles d’idées, des idées point de chez nous, si cha continue bientôt i voudront choisir la femme »


 

ERNEST

« Moi, je trouve plutôt ça bien, les enfants du village sauront lire et écrire, ils ne seront pas comme toi »

 

RENE

 « Moi, je veux pas que mes enfants aillent travailler chez les autres et deviennent les petits commis du père Gervais à l’usine de Ferrières ou à son château à Elbeuf en Bray, son fromage, c'est point du fromage, ça n'a point de goût, ils appellent ça les petits carrés et les petits Suisses. Qu’est ce qui doit gagner comme sous, je veux point que mes enfants l’engraisse »

 « Moi je veux pas que mes enfants aillent travailler chez les autres et deviennent les petits commis du père Gervais à l’usine de Ferrieres ou à son château d’ Elbeuf en Bray, son fromage, c'est point du fromage, ça n'a point- de goût, ils appellent eu ça les petits carres et les petits Suisses. Qu’est ce qui doit gagner comme sous, ceti pa malheureux tout ça, moi je veux point que mes enfants l’engraisse »


 

ERNEST

« Tu préfères que tes enfants restent tes commis et ne pas les payer ? Tu changeras pas, t’as toujours été arriéré et tyran comme était ton père, ta pauvre mère qu'était si bonne. Te sais que les de Saint-Marceaux n’aiment pas beaucoup les Gervais, ni les Servian, les riches qui ont bâti la maison pleine de clochers , y viennent d’Amérique paraît que c’est de l’Anglonormand comme le chalet des de Saint-Marceaux où ils font de la musique »

 

 RENE

« Nous voilà encore avec ces Anglais, on s’en débarrassera jamais de tous ces étrangers ... »

 « nous vla ti pas encore avec ces foutus Anglais, s’en débarrassera t-on point jamais de tousceuz la. »


 

…. 100 ans après, il n’y a plus de café à Cuy Saint-Fiacre, mais un café de l’Ours au musée d’Orsay. On ne parle plus du petit bonhomme barbu de la même façon, l'accent n'est plus le même, c'est un peu de Français beaucoup d'Anglo-américain, du Japonais, du Chinois ... L’ours blanc de François Pompon du musée d’Orsay accompagne le café croissant à la Française, les touristes du Monde entier regardent, contemplent certains dubitatifs, d'autres plus connaisseurs saisissent le mouvement ou sont initiés par un guide … La beauté de l'ours n'a pour langue que l'art, elle peut être comprise de toutes les cultures, cultivons nos sens, apprenons à regarder. Le petit Bonhomme est maintenant mondialement reconnu comme artiste, ses œuvres sont dans les plus grands musées, on s’arrache les petits canards, les petites poules et les petites pintades dans les ventes de Paris ou de Monte-Carlo… C’est François Pompon, on reconnaît.

L'artiste, on essaie alors de mieux le connaître, on vient du Japon à Cuy pour s’imprégner de l’âme de l’artiste et des lieux où il vécut, on vient voir le monument aux morts qu’il sculpta de même que la sépulture funéraire des de Saint-Marceaux. Le monument aux morts avec son coq pacifique (1921) et qui l’aida financièrement, (Mr de Saint-Marceaux était mort en 1915) puis vint l'ours blanc (1922) fit alors sa gloire. L’ours blanc, la sculpture la plus importante (2,40m de long) réalisé par François Pompon.

 

 

François Pompon vécut environ 35 ans à Cuy Saint-Fiacre, d’abord dans les dépendances du château, puis il acheta une maison, toujours présente, presque toujours à l'identique, maison aujourd’hui facile à identifier puisque la seule toute Blanche dans le centre du village ; Pompon ne disait-il pas que tous les animaux devaient être blancs.

 

 

Cuy Saint-Fiacre est situé dans la boutonnière du pays de Bray, sur le bord de la rivière Epte, l'Epte, ancienne frontière naturelle entre le Duché de Normandie et le Royaume de France. Village situé sur un sol silico-argileux aux utilisations industrielles et lieu important de production agricole herbagère  : lait, beurre, œufs,  volailles, tout cela à 100 kms de Paris, sur l'axe de chemin de fer le la Ligne Paris–Dieppe, ligne très fréquentée par les parisiens allant à Dieppe (les falaises avec les impressionnistes), station prisée à l'époque. Les produits frais peuvent partir à Paris sans dégradation, on n'avait pas les wagons frigorifiques, les autres régions pouvaient difficilement alimenter Paris.

 

 

Le coq du monument aux morts de François Pompon est en plein centre du village, il est dans le cimetière, face à la mairie, et tente de s’envoler vers le soleil couchant. Tout autour, l'architecture est « guerre des cieux » très troisième république, le presbytère, l’église et son clocher en compétition « céleste » avec le campanile de la mairie et les tours du manoir anglo-normand. Les cheminées alentour sont enchapeautées par la bourgeoisie nouvellement enrichie. Laïcs et religieux rivalisent dans les apparences.

 

 

On commande des sculptures, symbole de pouvoir, on est dans une époque statuomaniaque. la France est le pays qui possède la plus forte réserve d'or de tous les pays du monde. L'école devient obligatoire ainsi que la conscription, on bâtit des écoles, des mairies. Va-t-on « réparer » la défaite de 1871 ? La perte de l'Alsace et de la Lorraine et le traumatisme de Paris assiégé, La Commune, sont dans les mémoires, le danger vient de l'Est, on part à l'Ouest.

 

 

François Pompon naquit à Saulieu (Côte d’Or région Bourgogne) en mai 1855. Son père était ébéniste et excellent dessinateur pour le bâtiment, presque architecte.

A 15 ans, François Pompon entre à l’école des beaux-arts de Dijon. Il entra dans l’atelier du sculpteur François Dameron. Il passait du temps chez un marbrier de monuments funéraires comme apprenti et c’est là, un moment important de sa vie professionnelle. Il ne partit point dans la vie à la conquête chimérique et indéterminée de l‘art, mais à l’acquisition d’un métier précis, long à connaître, et c’est par le chemin du métier qu’il parviendra à l’art. Situant son ambition sur un plan, à la fois si solide et si humble, qu'aucune déception ne pouvait l’éprouver et de fait aucune ne l’atteignit jamais, d'autant que Berthe, son épouse, était dans le même état d'esprit. Ils savaient tous deux parfaitement conjuguer le verbe être à tous les temps, à tous les pronoms, les verbes avoir et paraître ne les détruisaient pas, ils avaient intégré l'amour chrétien.

 

Il vînt à Paris sans argent et sans bourse en 1875. Il travailla chez un marbrier de la rue Denfert. La journée, il travaillait la matière et le soir, suivait des cours à l’école des arts décoratifs rue de l’Ecole de Médecine. François  Pompon entendait alors parler métier plus qu’esthétique et c’est le sculpteur Rouillard qui l’initiera aux dessous de la forme. Rouillard était anatomiste et animalier (voir le cheval et sa herse sur le parvis du musée d’Orsay).

 

Cette vie dura 7 ans, toutefois au bout de 4 ans de vie parisienne, il trouva un atelier au 3 rue Campagne Première, quartier Montparnasse, que jamais il ne quitta.

 

Quand le monument funéraire ne donne pas de travail, il œuvre en bâtiment (décoration du nouvel hôtel de ville de Paris).

 

A partir de 1888, il commença à faire de la pratique chez Rodin, Pompon devint un praticien recherché ; Falguière, de Saint-Marceaux et Camille Claudel le retenaient à l’avance. Il expose à différents salons ses statues : Sainte Catherine, Cosette... C’est à partir des années 1905-1906 que ses merveilles dans l’art animalier commencent à apparaître dans les salons.

 

Lisons Liliane Colas, experte des œuvres de François Pompon dans le catalogue de vente (Monte-Carlo) du 20 Octobre 2018 :

« C’est vers 1905 que Pompon abandonne presque définitivement la représentation de la figure humaine pour celle des animaux, ces modèles gratuits et silencieux qu’il pouvait étudier sans hâte, qu’il suit pas à pas l’été dans les basses-cours de campagne, l’hiver au jardin des plantes. Modelées sur le vif à la terre glaise grâce à un établi portatif, les formes de l’animal, sont ensuite longuement retravaillées afin d’en éliminer l’accessoire et le détail, qui nuisent à la perception du volume fondamental et à la vérité du mouvement.

Cette volonté affirmée de s’affranchir de la figure humaine et de son schéma vertical obligatoire a incité Pompon à explorer d’autres directions et à abandonner l’expression naturaliste traditionnelle.

Comme un galet qu’on use, la forme et son contour résulte de ce travail de simplification et de cette quête de l’essence qui lui font inventer une abstraction non seulement lisse et pure mais également silencieuse

et indissociable de son attitude contemplative et respectueuse de la nature.

Son esthétique est donc née d’une longue réflexion et d’un travail laborieux, non d’un saut immédiat dans l’abstraction ».

  

 

Regardez encore et toujours les sculptures animalières de François Pompon et vous comprendrez pourquoi on les nomme animaux, car animées d’un juste équilibre et de grande beauté, on parle alors d’art, ce qui en cultivant nos sens nous permet de vivre en harmonie et en joie avec notre environnement.

 

J.C PELERIN